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Full text of "Vouloir 08"

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Qui est ^Leo 
'T-'ihdeMans f 



En dehors de la Belgique, Léo TINDE- 
MANS apparait. comme l'homme politi- 
que belge qui a obtenu le beau score 
de quelque .900.000 voix lors des élections 
européennes de 1979. Appartenant 
au parti social-chrétien (CVP) depuis 
1947, TINDEMANS a été promu prési- 
dent du PPE (Parti Populaire Européen), 
une formation regroupant tous les 
démocrates-chrétiens, ailes gauche 
et droite confondues, du Bénélux, 
de la RFA et d’Italie. Cette promotion 
fut pour lui le couronnement d'une 
carrière politique axée essentiellement 
sur la défense d'une idéologie à la 
fois catholique, atlantiste, occidenta- 
liste et anti-communiste. 

Catholique, TINDEMANS s'inscrit 
dans la tradition d'une défense de 
l'Occident chrétien contre le "paganisme 
bolchévique". Cette option implique 
un culte des institutions communautaires 
européennes, culte que les mauvaises 
langues qualifient volontiers de "féti- 
chiste" et de "mono maniaque" et aussi 
une adhésion aux principes de cette 
construction de l'Europe, entreprise 
jadis par les Catholiques SCHUMAN, 
ADENAUER et de GASPERI. 
TINDEMANS, conférencier apprécié 
de l'annuel Deutscher Katholikentag, 
se situe à l’intersection de deux visions 
de l'Europe: celle qui réduit notre 

continent au "noyau carolingien " et 
aux seuls Etats membres de la CEE 
et celle qui vise, à long terme, l'unité 
de tous les catholiques d'Europe Centra- 
le (Polonais, Autrichiens, Hongrois, 
Tchèques, etc.). Comme le Bavarois 
STRAUSS, TINDEMANS utilise tantôt 
les arguments propres à la première 
vision, tantôt ceux relevant de la secon- 
de. Mais son Europe doit s'effectuer 
sous la protection de la puissance 
nucléaire que constituent les Etats- 
Unis. C'est, là la contradiction majeure 
de ce discours: jamais les Etats-Unis 
n'accepteront un bloc européen fort, 
uni et puissant. 

Quant aux Scandinaves et aux Soviéti- 
ques (maîtres, selon la terminologie 
utilisée par TOYNBEE, du territoire 
de la chrétienté orthodoxe), ils se 
sentent profondément étrangers à 
ce discours "carolingien" rénové. Une 
Europe peut-elle se construire sans 
les apports Scandinave et russe ? Les 
évidences géographiques et historiques 
nous obligent à répondre à cette question 
par la négative. Le programme du 
PPE n'a finalement rien de "populaire" 
(il s'est conçu dans des cénacles catholi- 
ques fermés) ni d'"européen" (puisqu'il 
fait abstraction du mental de plus 
de 60% d'Européens et ne retient 
pas l'importance des territoires Scandina- 
ve et russo-sibérien pour l'avenir et 
la sécurité de l'Europe). Pour l'aile 
du PPE à laquelle appartient TINDE- 
MANS, l'éthique de la conviction, 
c'est-à-dire les mirages de l'idéologie, 
prime l'éthique de la responsabilité, 
le pragmatisme concret. C'est aussi, 
curieusement, le reproche majeur 
que l’actuel premier ministre belge, 
Wilfried MARTENS, faisait à certaines 
fractions de son parti, le CVP, en 
1972, soulignant, dans la même foulée, 
les dangers du "cléricalisme militant"! 

L'affaire Pégard, qui continue à sévir, 
est peut-être le meilleur exemple 
des errements politiques de l'atlanto- 
catholicisme. 




SUPPLEMENT à la REVUE ORIENTATIONS Numéro 8 août-septembre 1989 



Pegard et le disciple de ”Dear Henry” 



Il est symptomatique qu’un pays comme 
la Belgique ait choisi comme date de 
sa fête nationale, le 21 juillet, date 
anniversaire de la prestation de serment 
d'un roi étranger. Pourtant, la plupart 
des autres pays ont opté pour la date 
réelle ou symbolique de leur indépen- 
dance. Aussi, il eût été normal que 
l'on choisisse le 25 août, date commémo- 
rative du soulèvement de 1830, lorsque 
le ténor La Feuilladc entonna à la 
Monnaie, le refrain célèbre de la "Muette 
de Portici" d'Auber qui permit à la 




Caricature de Royer dans Le Soir 
du 11/12-8-84. Face aux diplomaties 
belge et européenne démissionnaires, 
Reagan peut à loisir jouer un rôle 
de policier de l’économie occidentale. 

bourgeoisie belge de bouter dehors 
les Orangistes. 

La Belgique, nation artificielle, issue 
de la conjonction du Congrès de Vienne 
(le "Yalta" du XIXe siècle) et des inté- 
rêts des bourgeoisies anversoises, bruxel- 
loises et liégeoises, n'a guère montré 
à travers son histoire, une réelle volonté 
d'indépendance, du moins au niveau 
de sa classe dirigeante, sauf à deux 
exceptions, lors de la bataille de l'Yser 
en 1919 et par la politique de neutralité 
qui a précédé la seconde guerre mondiale. 

Aujourd'hui, la Belgique est considérée 
comme le pays dont la diplomatie est 
la plus alignée sur les U. S. A. dans 
le cadre de l'Alliance atlantique. 

L'affaire Pégard s'inscrit dans ce con- 
texte. Elle a déclenché un tel coup 
de tonnerre dans l'opinion publique 
que bien des yeux se sont ouverts. 
Et pour la première fois depuis long- 
temps, des responsables politiques, 
économiques et sociaux belges ont 



adopté de très fermes positions en 
matière de diplomatie, domaine jusqu'à 
présent strictement réservé au gouver- 
nement. C'est en soi un événement 
qui, au-delà du drame que vit l'entreprise 
Pégard et ses travailleurs, aura des 
conséquences incalculables. Et nous 
ne pouvons que nous en réjouir. 

Que s'est-il donc passé ? 

Au début de l'année 1983, les Soviétiques 
ont commandé à la firme Pégard, manu- 
facture de machines-outil d'Andenne, 
petite ville mosane située à quelques 
encablures de Namur, une aléseuse- 
fraiseuse de 102 millions de francs 
belges (environ 15 millions de FF). Cette 
commande s'inscrit dans un marché 
beaucoup plus vaste qui porte sur un 
milliard de francs belges (150 millions 
de FF). La Société Pégard est contrôlée 
par le groupe ouest-allemand Voith 
et par la Société Nationale d'investisse- 
ment (S.N.I.) - holding public de l'Etat 
belge - qui y détient quelque 30 % 
du capital. Tout le monde s'était réjoui 
N à l'époque, de cette commande, car 
Pégard connaissait de graves difficultés 
comme la plupart des entreprises métal- 
lurgiques du bassin mosan. De plus, 
la région d'Andenne est particulièrement 
touchée par la crise. 

A la fin de l'année 83, les difficultés 
commencèrent. La licence d'exportation 
qui doit être accordée par le Ministre 
des relations extérieures, n'est toujours 
pas accordée à Pégard alors que la 
fabrication de l'aléseuse-fraiseuse est 
largement entamée. Une délégation 
composée de la direction et des délégués 
syndicaux de l'entreprise s'est présentée 
auprès du Ministre des relations exté- 
rieures, Léo Tindemans, chrétien flamand 
et ancien Premier Ministre. Il a émis 
de vagues promesses et a assuré les 
représentants de Pégard qu'il a rencontré 
récemment le secrétaire d'Etat améri- 
cain Schultz pour l'entretenir de ce 
problème. On a appris par après que 
Tindemans a même été voir Schultz 
jusque dans ... sa chambre d'hôtel '. 

Qu'a donc à voir Schultz avec un accord 
commercial entre une firme belge et 
l'U.R.S.S. ? 

La Belgique fait partie de l'Alliance 
atlantique et s'est systématiquement 
alignée sur les prises de position améri- 
caines en matière de défense et de 
relations Est-Ouest. Contrairement 
à d'autres partenaires de l'Alliance, 
la Belgique a été la plus prompte à 
accepter l'installation des euromissiles 
sur son territoire, malgré une opposition 
très importante de l'opinion publique. 

Aussi, que Tindemans ait accepté ce 
nouveau diktat de l'Administration 





Les rebondissements de l'affaire Pégard n'ont pas encore cessé d'alimenter les chroni- 
ques. Après les prémisses de l'affaire, relatées par notre collaborateur George Robert, 
la Belgique a décidé de livrer cinq aléseuses-fraiseuses à l'URSS. Les Américains refusent 
alors leurs remboursements compensatoires puis acceptent pour tergiverser encore ; 
Leur objectif réel est de ruiner tout commerce inter-européen. 



américaine n’est pas étonnant. Et cela 
s’inscrit dans un contexte beaucoup 
plus large qui touche tous les pays. 

Depuis l'arrivée de Reagan au pouvoir 
en 1980, un organisme "officieux" insti- 
tué en 1949, en pleine guerre froide, 
chargé de contrôler les exportations 
de technologies vers les pays du bloc 
soviétique qui avait été mis en veilleuse 
lors de la "détente", a été réanimé. 
Cet organisme appelé "Comité de coordi- 
nation pour le contrôle multinational 
des exportations (COCOM) composé 
de délégués de chaque pays de l'Alliance 
atlantique plus le Japon, moins l'Espagne 
et l'Islande, n'est fondé sur aucun traité 
de droit international. 

Et c'est cela qui est ahurissant '. Dans 
notre droit, il y a ce qu'on appelle 
la "hiérarchie des normes". Une loi 
nationale prime une ordonnance locale, 
une disposition d'ordre public prévaut 
une convention privée. De même, une 
disposition de droit international sup- 
plante une loi nationale. C'est ainsi 
que la CEE fait régulièrement pour- 
suivre des Etats-membres pour non 
respect de conventions existantes dans 
les traités instituant la Communauté 
européenne. Mais cela n'est valable 
que si les Traités en question ont été 
ratifiés par les assemblées parlemen- 
taires des pays signataires; autrement 
dit que ces Traités aient force de loi 
au sein des Etats signataires. 

Or, le fameux COCOM n'est pas un 
organe prévu par le Traité de l'Atlan- 
tique Nord qui a institué l'Alliance 
atlantique. Il s'agit donc d'un organisme 
officieux et illégal qui impose malgré 
tout, ses diktats aux membres de l'Al- 
liance. 

De plus, sa composition est tenue se- 
crète, ses notifications ne sont pas 
motivées et sont sans possibilité d'appel 
(aucune cour de Justice ne peut trancher 
un litige entre le COCOM et un Etat 
ou une personne physique ou morale 
appartenant à cet Etat). C'est le vide 
juridique le plus complet qui préside 
notre commerce extérieur. 

Il faut ajouter que le COCOM est en 
fait entièrement lié aux volontés de 
l'Administration américaine et plus 
spécialement à celles du Pentagone. 
Il dicte des normes technologiques 
aux industries exportatrices des pays 
membres de l'Alliance atlantique. 

La Belgique n'est d'ailleurs pas la seule 
"victime" des diktats du COCOM. En 
France, la firme électronique THOMSON 
a des ennuis pour la livraison à la Bulga- 
rie, d'un central téléphonique de haute 
technologie. Le Ministre ouest-allemand 
de l'économie, M. Martin Bangemann, 
a mis en garde les U. S. A. contre de 
nouvelles restrictions américaines à 
l'égard du transfert de technologies 
de la R. F. A. vers l'Est. 

Cette succession de conflits s'inscrit 
en fait dans le contexte de la politique 
commerciale des Etats-Unis, qui se 
montre de plus en plus agressive. Non 
contents d’avoir sorti le COCOM des 
limbes, les dirigeants américains sou- 
haitent faire reviser leur loi sur le 
commerce extérieur dite "Export Admi- 
nistration Act" en interdisant l'expor- 
tation vers l'Est à toutes les filiales 
de sociétés américaines installées à 
l'étranger, ainsi qu'à toute société 
non américaine possédant une licence 
US. 



Par ce biais, les Américains parviennent 
à imposer leur loi à l'étranger ! Et 
ce n'est pas tout. Le même gouverne- 

ment US a décidé de limiter les impor- 
tations de produits textiles. Ce qui 
pose de graves problèmes à de nombreux 
pays du Tiers-monde, spécialement 
à l'Amérique latine. Ces derniers ont 
d'ailleurs demandé une réunion d’urgence 
du GATT (accord commercial interna- 
tional placé sous l'égide de l'O.N.U). 
Cette réunion s'est soldée par une 
condamnation des Etats-Unis. A part 
cela, les "reaganomics" prônent le libre- 
échangisme '. 

Les Etats-Unis forts de leur dollar 
artificiellement gonflé, de leurs taux 
d'intérêts usuraires, d'un déficit budgé- 
taire en fait payé par les autres, n'hé- 
sitent dès lors pas à commettre un 
véritable acte de guerre à l'égard de 

l'Europe et du Tiers-monde en matière 
de commerce. Autrefois, les blocus 
étaient causes de guerre. Aujourd'hui, 
bien sûr, l'US Navy n'empêche pas 
la circulation maritime, comme la 
Royal Navy le faisait du temps de 
Napoléon. Cependant, les mesures amé- 
ricaines actuelles sont bien plus- dange- 
reuses et efficaces que les canonnières 
d'antan. 

Et puis, les Américains peuvent compter 
dans nos pays sur de féaux serviteurs. 

Tindemans en est un. Sur base d'un 

rapport de la CIA qu'il n'a évidemment 
pu divulguer, "l'ayatollah d'Edegem" 
n'a pas hésité à déclarer que l'aléseuse 
fraiseuse de Pégard servirait à la fabri- 
cation des SS 20 soviétiques '. Puis, 
nouvelle version, cette machine servi- 
rait à la construction des silos de fusées 
(qui ne nécessitent aucune technologie 
de pointe 1). 

Malgré ces déclarations contradictoires, 
la licence d'exportation est refusée 
à Pégard, le 21 juillet dernier. Ce veto 
du gouvernement belge compromet 
tout le marché promis à Pégard par 
les Soviétiques. Aussi, le groupe alle- 
mand Voith décide de retirer ses billes 
de Pégard et demande le concordat 
(1) au Tribunal de Commerce de Namur, 
d'autant plus que les banques refusent 
tout crédit supplémentaire à Pégard. 
Le gouvernement belge, sous la pression 
des ministres francophones - en Belgique, 



tout problème doit prendre une allure 
linguistique - a demandé à l’association 
Vinçotte, un bureau d'expertise tech- 
nique, de rédiger un rapport sur l'éven- 
tuelle utilisation militaire de l'aléseuse- 
fraiseuse. 

Le rapport indique que la machine 
en question, ne contient aucun élément 
technologique qualifiable de "straté- 
gique" et est en outre accompagné 
d'une liste d'entreprises européennes 
exportant du matériel de même nature 
vers les pays de l'Est. 

Tindemans et son collègue des affaires 
économiques, Mark Eyskens, décident 
de prendre contact avec le gouverne- 
ment américain (encore 1) pour lui 
soumettre le rapport Vinçotte. De nou- 
veau la carpette ! 

Pour Pégard, c'en est trop. La direction 
de l'usine rappelle qu'à la suite d'une 
note du COCOM, elle avait fait modi- 
fier certaines caractéristiques tech- 
niques de l'aléseuse-fraiseuse en 1983 
pour être conforme aux normes COCOM. 
Un nouveau pavé dans la mare '. 

Tindemans est plus que gêné. Dans 
une interview accordée au quotidien 
Le SOIR du 6 août, notre Ministre 
des affaires américaines (pardon 1 étran- 
gères) essaie de se justifier par l'exis- 
tence d'un manque de coordination 
au sein de son propre gouvernement 
et de son administration. Et encore 
une gaffe, une '. 

Les fonctionnaires, piqués au vif, répli- 
quent à Tindemans qu'il n'avait pas 
à demander l'avis du COCOM sur la 
machine de Pégard. 

Quant aux Américains qui nè sont jamais 
pris de court à l'égard de leurs vassaux, 
ils déclarent que si, technologiquement, 
la machine est inoffensive, l'utilisateur 
final en U.R.S.S. empêche son exporta- 
tion. Retour à la case départ 1 

La suite, comme histoire belge, Coluche 
n'aurait pu l'inventer. Le 10 août, 
le gouvernement décide de faire acheter 
la machine de Pégard par ... l’armée 
belge qui dispose d'un crédit de 60 
millions de FB pour son équipement 
en outillage. Les Américains s'engagent 



* 



à payer le solde de 42 millions 1 Le 
ridicule ne fraise plus 1 

Pour Regard, par contre, rien n'est 
résolu. Le Tribunal de Commerce est 
favorable au concordat mais le principal 
actionnaire est parti, la publicité faite 
autour de cette affaire a très sérieuse- 
ment entamé le crédit de cette entre- 
prise. Il est plus que probable, qu'en 
représailles, les Soviétiques lâcheront 
le marché de 900 millions. Mais qu'à 
cela ne tienne '. Les Américains se 
déclarent intéressés par une prise de 
participation dans Pégard. Et voilà 
le travail '. 

Les Américains exportent sans vergogne 
leurs technologies vers l'U.R.S.S., parfois 
par l’intermédiaire de pays neutres 
comme la Suède et l'Autriche. Ainsi, 
ITT s'apprête à vendre un central télé- 
phonique du tout dernier cri à la Tchécos- 
lovaquie. 

Gageons que l'affaire Pégard a servi 
de test aux Américains et d'avertisse- 
ment lancé aux Européens: "La technolo- 
gie de pointe et ses marchés industriels 
c'est à nous, les Américains. Et si 
vos entreprises s'obstinent à vouloir 
poursuivre leurs marchés avec l'Est, 
eh bien, nous les ruinerons ou nous 
nous les approprierons avec l'aide de 
vos gouvernements vassaux. Thank 
you dear Léo Tindemans, you made 
a good job for us l" 

Le seul élément positif dans cette 
lamentable affaire, est la prise de 
conscience qu'elle aura suscitée dans 
la population et dans une partie de 
la classe politique, essentiellement 
chez des socialistes wallons comme 
la député européen, Anne-Marie LIZIN 
et le bourgmestre d'Andenne, M. Claude 
ERDEKENS qui n'a pas hésité à renvoyer 
sa carte d'identité à Tindemans au 
risque de compromettre sa carrière 
politique. Nous lui laisserons la conclu- 
sion: "L'envahisseur a changé en 70 

ans et le massacre, de physique, est 
devenu économique. Voilà pourquoi, 
face à ceux qui se sont battus pour 
que vive ce pays, je n’ai pas honte 
d’avoir renvoyé ma carte de Belge 
(...) Cette tentative est déplorable. 
L'avenir pour nous, ne pourra qu'être 
wallon dans une Europe des régions". 

Bravo camarade Pourvu que vous 
gardiez pareils lucidité et courage 
lorsque vous reviendrez aux affaires. 

Georges ROBERT 



NOTE 



(I) Il ne faut pas confondre faillite 
et concordat. Le concordat est un juge- 
ment qui permet la poursuite des ac- 
tivités d'une entreprise avec l'accord 
de tous ses créanciers et sous le con- 
trôle d'un juge commissaire nommé 
par le Tribunal de Commerce, tandis 
que la faillite est la mise sous tutelle 
d'une entreprise par un curateur désigné 
par le Tribunal accompagné de l'exclu- 
sion des dirigeants et propriétaires 
de l'entreprise de toute responsabilité 
dans la gestion. 



VOCABULAIRE 



INDIVIDUALISME 



"Mentalité, introduite dans la civilisation 
occidentale, par le judéo-christianisme, 
selon laquelle l'homme individuel abstrait 
vaut plus que ses appartenances et 
constitue l'élément de base de l'espèce, 
avant toute communauté". 

L'individu chrétien est "hors du monde", 
isolé face au Dieu-Père qui le dévalue 
et peut seul lui accorder le salut. De 
là découle aussi l'égalitarisme. Les 
idéologies occidentales transposeront 
dans le social et dans l'histoire (laïcisa- 
tion) cette individualisation de l'humani- 
té. D'où destruction des organicismes, 
atomisation des sociétés par l'Etat 
et constitution de masses qui sont 
la contrepartie de l'individualisme. 
L'homo oeconomicus libéral, le "prolétai- 
re" des marxistes, T'être humain" de 
l'idéologie des droits de l'Homme, 
sont des conséquences de cet individua- 
lisme qui, autant que l'égalitarisme 
et le rationalisme socio-politique, carac- 
térise la société et la conception-du- 
monde dominantes. A l'individualisme, 
il faut opposer le holisme dans lequel 
la personnalité est mise en valeur par 
sa communauté et son peuple, et échappe 
au narcissisme comme à l'isolement. 
Dans la perspective holiste, l'homme 
se réalise pleinement et trouve son 
épanouissement dans et par le service 
de sa communauté. 




EM ri RE 



"Conception d'organisation de la politique 
et de la souveraineté conforme à des 
principes organiques, conciliant à la 
fois la puissance unifiante de la fonction 
souveraine et la diversité vivante de 
la société, de la culture, de l'économie 
et de l'espace". 

L'Empire tout à la fois transcende 
et garantit les diversités. 

L'Empire est pour nous à la fois un 
mythe à regénérer et à appliquer à 
l'Europe à partir des exemples délien, 
romain, germanique, et une philosophie 
politique et géopolitique. Mais nous 
n'entendons pas en faire une utopie 
en le réduisant à une description institu- 
tionnelle ou à un programme. Notre 
vision impériale comporte trois axes: 

1) L'Empire unifie autour de la fonction 
première de toute société équilibrée, 
la fonction de souveraineté, ce qui 
relève de l'essence du politique et 
de la conscience historique donc du 
destin; pour le reste, il préserve la 
diversité de toutes les autres fonctions, 
des institutions, etc, qui n'ont pas 
d'incidence dans ces deux domaines. 
L'Empire fédère mais n'homogénéise 
pas. 

2) En deuxième lieu, son existence 
ne se justifie que par la recherche 
de la puissance et de la grandeur cultu- 
relles et historiques des nations qu'il 
rassemble en un même peuple. En revan- 
che, ce qui relève du bien-être et du 
"social" regarde les institutions propres 
des nations mais pas de l'instance impé- 






riale. 

3) En troisième lieu, l'Empire est univer- 
sel mais pas universaliste, puisque les 
nations qui le constituent, dans notre 
conception tout au moins, n'ont pas 
vocation à s'étendre à tous les peuples 
de la Terre, ni territorialement ni 
ethniquement. En ce sens, l'Empire 
n'est pas républicain, au sens français 
ou américain, et se distingue du système 
occidental actuel qui entend, au contrai- 
re, inclure et homogénéiser tous les 
peuples. L'Empire, selon notre concep- 
tion, n'inclut et ne prend en charge 
le destin que des seules nations qui 
peuvent, historiquement, ethniquement 
et culturellement, se dire et se sentir 
parties du même peuple. Nous pensons 
que ce "sentiment" est historialemcnt 
fondé à surgir en Europe, Est et Ouest 
unis/réunis. Une Europe dont les "nations- 
Etats", au sens des idéologies actuelle- 
ment dominantes, ne nous semblent 
pas légitimes, telles qu'elles sont aujour- 
d'hui dessinées. Historiquement, la 
notion d'Empire a toujours eu contre 
elle le pouvoir théocratique et le pouvoir 
marchand (l'un et l'autre foncièrement 
cosmopolites). Nous voulons, aujourd’hui, 
la reprendre à notre compte, en lui 
donnant le sens de mouvement que 
lui conférait déjà MOELLER van den 
BRUCK. 




NATION 



"Concept qui, de notre point de vue, 
comprend deux acceptions, l'une positi- 
ve, l'autre négative. Dans le premier 
cas, la nation regrou *e les natifs et 
les héritiers d'un peuple: elle est, 

davantage que la "société", l'objet 
du politique et doit s'entendre comme 
le "peuple mis en mouvement", construi- 
sant son histoire, dans la recherche 
de la puissance et de l'identité. Cette 
notion est partiellement véhiculée 
par le rousseauisme et la philosophie 
politique française; mais ces derniers, 
dans leur ambiguïté, ont aussi conçu 
la nation comme échelon d'une société 
mondiale, comme "département" d'une 
planète politiquement rationalisée. 
Aujourd'hui, le système occidental 
est fondé sur cette idéologie des na- 
tions, qui s'oppose à celle de l'Empire 
(Cf. supra), et qui neutralise les peuples 
en les normalisant dans des nations 
"égales" qui ne sont plus, à la limite, 
que des coquilles vides, des cadres 
dépourvus de sens historique". 



Nous adressons toutes nos excuses 
à nos lecteurs pour le retard de ce 
numéro de VOULOIR. La parution 
d'ORIENTATIONS (n°5), fin septembre 
1984, a engorgé les machines de notre 
imprimeur. Nous vous invitons à lire 
cette livraison d'ORIENTATIONS (ren- 
seignements p. 1 2). VOULOIR n°9 contien- 
dra une analyse du premier roman 
de Bernard- Henri LEVY (BIIL pour 
les fans), un article du Général-Major 
e.r. de la Bundeswehr, Jochen LISSER 
sur l'impérieuse nécessité historique 
de créer une Europe Centrale neutre , 
un dossier sur le libéralisme et les 
recensions habituelles. 



4 



I 




NOUS AVONS LU ... 



NATIONALISME CORSE 



L'idée nationaliste, au vieux sens herdé- 
rien et charnel du terme, semble être 
redevenue idée neuve en Europe. Face 
aux Etats-Nations qui prétendent con- 
fisquer le "nationalisme" à leur seul 
profit, niant toute forme d'identité 
aux minorités ethniques, qui, finalement, 
composent la majorité des citoyens, 
et face au refus des gouvernants de 
reconnaître à ces derniers tout droit 
à la différence, à une spécificité nationa- 
le, tant sur le plan politique que sur 
le plan culturel, certains mouvements 
de revendication nationale se sont 
développés dans le cadre historique 
des Etats européens. 

Le cas de la Corse est à cet égard 
exemplaire dans le pays qui a enfanté 
le jacobinisme et tous ses excès. La 
République Française, "une et indivisi- 
ble", n'est pas très patiente avec tous 
ceux qui osent affirmer leurs identités 
propres et rappeler que leurs racines 
ne sont pas obligatoirement celles 
reconnues par les "autorités" officiel- 
les. José GIL nous propose une analyse 
historique et ethnologique du nationa- 
lisme corse. Par une étude précise 
et souvent surprenante des structures 
politiques et des dynamiques propres 
à l'I le de Corse, il construit patiemment 
les fils qui nous permettent de renouer 
avec l'histoire de la Corse. Son explica- 
tion de la Constitution paoline du XVlIIè- 
me siècle est pertinente. GIL révèle 
également le pourquoi et l'origine d'une 
violence souvent jugée consubstantielle 
aux traditions insulaires. 

Par une analyse attentive des strates 
structurelles de la société corse (famille, 
village, communauté populaire, ...), 
il définit la dynamique déterminante 
de la société corse. Sa démonstration 
du rôle des "clans", constituant à la 
fois une structure coloniale et autochto- 
ne, groupements au service de leurs 
intérêts propres, en même temps adver- 
saires et complices du pouvoir parisien, 
est un modèle du genre. Il souligne 
aussi avec un rare bonheur l'attachement 
charnel et spirituel de tous les Corses 
à la terre de leurs ancêtres, au petit 
coin de village où reposent les morts 
de la lignée, au terroir où s'enracine 
un sentiment patriotique. Il écrit: "Qui 
n'a pas compris l'attachement déraison- 
nable des Corses pour leur Ile, et tel- 
lement fou qu'il apporte raison et sens 
absolus à leur existence, ne comprendra 



jamais rien a leur existence" (p. 14). 
En résumé, un livre a lire, pour ne 
pas s'arrêter aux apparences véhiculées 
par les grands médias aseptisés, pour 
aller au fond des choses... 

A.S. 



José GIL, La Corse entre la Liberté 
et la Terreur, Editions de la Différence, 
Paris, 1984, 98 FF. 




WALLONS ET FLAMANDS 



Avant la guerre, l'Abbé GANTOIS, 
chef spirituel des "Flamands de France", 
avait écrit, sous le pseudonyme de 

H. VAN BYLEVELD, un livre intitulé 
Jusqu’oïl s'étendent en France les Pays- 
Bas ? Cet ouvrage retraçait l'histoire 
ethnographique de la pénétration en 

Flandre Méridionale (devenue française 
au XVIIème siècle), en Artois et en 
Picardie de populations flamandes. 
Maurits CAILLIAU, Président de l'Oranjc- 
jeugd et co-éditeur d'une remarquable 
publication, le Zannekin Jaarbock (Cf. 
VOULOIR n°5), se penche, lui, sur 
la Wallonie, c'est-à-dire sur l'espace 
déclaré aujourd'hui francophone au 

sein de l'Etat belge. Maurits CAILLIAU, 
défenseur d'une Europe des ethnies, 
estime que la politique politicienne 
belge souffre des "terribles simplifica- 
teurs" et que le dualisme régionaliste, 
opposant les Flamands aux Wallons, 
n'est pas, à la lumière de l'histoire, 
aussi manichéen. Cette "simplification" 
est due, essentiellement, à une confu- 
sion des concepts, dont les autorités 
belges officielles et, par réaction, 
certains nationalistes flamands sont 
responsables. L'historiographie belge 
ne tient compte ni de l'appartenance 
pluriséculaire des provinces wallonnes 
au Saint-Empire ni du fait que le fran- 
çais de Paris n'a jamais, jusqu'il y 
a peu, été la langue quotidienne des 
Wallons. Les thèses les plus simplistes 
du nationalisme flamand, elles, postulent 
que la Wallonie est un "morceau de 
France" (voire de l'abstraction "Franci- 
té") alors que son histoire est même 
plus étrangère à la France que celle 
du puissant Comté de Flandre. Des 
humoristes pourraient même affirmer 
que ces nationalistes-là sont des alliés 
objectifs de l'impérialisme français, 
en voulant jeter les seize mille kilomè- 
tres carré de territoire wallon dans 
le giron parisien, laissant alors la frontiè- 
res méridionale de l'espace linguistique 
néerlandais sans zone intermédiaire 
face à la France. 

Ces deux historiographies, que critique 
CAILLIAU, commettent l'erreur de 
ne juçer l'histoire qu'à partir des seules 
frontières belges de 1830. Ces frontières 
sont artificielles, écrit-il, et ne permet- 
tent pas de juger les événements histori- 
ques en dehors d'un espace chronologi- 
que très restreint. Du point de vue 
linguistique, la région wallonne n'est 
pas homogène. A Tournai, on parle 
un dialecte picard, en Gaume, un dialec- 
te lorrain et à Arlon, le substrat lingui- 
stique est "francique-mosellan" (mosel- 
frankisch"). En revanche, dans l'enclave 
de Givet et dans la région de Maubeuge, 
le Wallon déborde l'actuelle frontière 
belge. 



Mais le point de contact entre Flamands 
et Wallons, depuis la constitution du 
Burgundischer Kreis dans le Saint-Empi- 
re, reste l'échange des populations. 
Au Moyen Age, les villes et les cam- 
pagnes thioises sont nettement plus 
peuplées que les régions wallonnes, 
plus rurales. Ce déséquilibre démographi- 
que est resté palpable jusqu'à nos jours. 
Maurits CAILLIAU étudie l'émigration 
des Flamands vers la Wallonie depuis 
1830, année où, par la création de 
l'Etat belge, les industries textiles 
flamandes perdent leurs débouchés 
en Hollande et dans les Indes néerlandai- 
ses (Indonésie). Les ouvriers de ces 
industries furent contraints d'émigrer 
vers la Wallonie ou vers le Nord de 
la France, ce qui favorisa le textile 
à Lille, Tourcoing et Roubaix, villes 
jouissant de l'hinterland français. Les 
famines de 1840 à 1846 provoquèrent 
l'émigration en Wallonie, en France 
et en Amérique de paysans flamands. 
Pour quantité d'autres motifs, comme 
le boom industriel wallon du XIXème 
siècle, cette émigration flamande durera 
jusqu'en 1969. Quel fut le nombre exact 
de ces immigrés ? Personne ne le sait 
et aucune statistique officielle n'en 
fait état. CAILLIAU tente, au départ 
de quelques documents locaux de Flandre 
comme de Wallonie, de déterminer 
le pourcentage de la population de 
souche flamande dans les villes industriel- 
les de Wallonie ou au sein des catégories 
sociales vivant de l'agriculture. Les 
chiffres varient entre 15 et 70% (La 
Louvière). C'est la Flandre Occidentale 
qui a fourni le plus gros contingent 
d'émigrés (42% du total entre 1946 
et 1957) et le Hainaut qui en a accueilli 
le plus grand nombre (62%). 

Au total, la population actuelle de 
Wallonie se compose de +_ 1.500.000 

Wallons de souche, de _+ 1.500.000 Fla- 
mands wallonisés, de +_ 400.000 étrangers 
récemment immigrés et de _+ 50.000 

Flamands de la première ou de la deuxiè- 
me génération qui parlent encore leur 
langue à des degrés divers. En insistant 
sur ces chiffres, Maurits CAILLIAU 
veut relativiser la démagogie qui prétend 
rompre les ponts avec la Wallonie à 
l'outil industriel vieilli et aux problèmes 
sociaux quasi insolubles. Même d'un 
point de vue flamand, CAILLIAU pense 
qu'il s'agit là d'un manque de solidarité 
avec les deux millions de Wallons de 
souche flamande. L'origine ethnique 
doit peser plus lourd que l'utilisation 
d'une langue, facteur non héréditaire. 
Outre cette proximité anthropologique, 
il y a, écrit Maurits CAILLIAU, une 
indéniable communauté de destin entre 
les deux espaces, repérable dès le Haut 
Moyen Age. La francisation de la Belgi- 
que après 1830 n'a pas été le seul 




fait de Wallons mais aussi de Flamands 
francisés, francophiles par fidelité 
aux idéaux de 1789 ou défenseurs de 
la "civilisation latine" par catholicisme 
ultramontain. D'autres sont restés 
"flamands" d'esprit et d'esthétique 
comme dans le monde littéraire, où 
il suffit de se rappeler Vcrhaeren, 
De Coster, Rodenbach, Van Lerberghe... 

CAILLIAU conteste également l'affirma- 
tion qui veut que ce sont les provinces 
romanes les responsables et les bénéfi- 
ciaires de 1830. Dans le Royaume-Uni 
des Pays-Bas (1815-1830), le mouvement 
pour la liberté de la presse, prélude 
aux troubles de 1830, secouait non 
seulement Liège, Verviers et Bruxelles 
mais aussi toute la Hollande, la Frise 
et la Province de Gueldre. Par ailleurs, 
les "francophones" de 1830 ne se sen- 
taient pas minorisés en tant que "Belges" 
mais en tant que "Catholiques" soumis 
à une monarchie protestante. Les diver- 
ses pétitions adressées au roi Guillaume 
1er, demandant plus de latitude dans 
l'emploi du français, venaient aussi 
de Rotterdam, Nimègue et Utrecht. 
Sont-ce les fruits tardifs de la fascina- 
tion exercée par Versailles en Europe 
du Nord ? 

En conclusion, CAILLIAU précise que 
la querelle linguistique belge est issue 
du système unitaire et unitariste de 
modèle français, imposé à nos régions 
en dépit de ses traditions politiques 
qui sont foncièrement fédéralistes 
à la manière suisse. L'histoire en té- 
moigne. Nous concluerons donc: seule 

une "cantonalisation" de la Belgique 
et des Pays-Bas, faisant fi des actuelles 
provinces dessinées en 1795 par les 
Jacobins français, engendrera la paix 
linguistique, sans léser ni les Wallons 
ni les Flamands et sans créer de zones 
"bilingues", artificielles et hybrides. 

S. H. 

Maurits CAILLIAU, Met Walenland 
en de Nederlanden, Uitgave Oranjejeugd, 
Malle, 1984, 32 blz. 

Cette brochure peut être commandée 
à notre service librairie (compte BBL 
n°310-00'19870-01) en versant la somme 
de 100 FB + 20 F B (frais de port). 




" MUT ZUR GESCHICHTE" 



Existe-t-il une "névrose allemande"? 
C'est la question que pose, dans l'un 
de ses derniers ouvrages, Hellmut DI- 
WALD, un historien allemand qui avait 
déclenché une vaste polémique, en 
1978, lors de la parution de son maître- 
ouvrage, Geschichte der Dcutschen. 
Cette "histoire des Allemands", éditée 
par Propylaen Verlag (Berlin), a suscité 
la colère des historiens conformistes 
et l'enthousiasme du public (100.000 
exemplaires de grand format et de 
762 pages vendus en quatre moisi)* 
DIWALD y réduisait à néant tous les 
tabous de l'histoire allemande récente. 
Dans Mut zur Geschichte ("Le courage 
de vouloir faire l’histoire"), un ouvrage 
paru en septembre 1983, DIWALD per- 
siste à poser des questions provoquantes. 
Depuis la perte de leur unité politique, 
les Allemands subissent un processus 
incessant de dénationalisation spirituelle 
et, donc, de sortie de l'histoire. Il 
règne, surtout en Allemagne Fédérale, 



un culte de l'oubli. Or les nations ont 
besoin de mémoire. Question vitale. 
DIWALD adresse ses reproches aux 
historiens ouest-allemands, réfugiés, 
dit-il, dans "les tours d'ivoire des spéciali- 
sations stériles". Les historiens, déplore 
DIWALD, n' avancent plus cette vision 
globale de l'histoire qui valorisait les 
travaux de leurs prédécesseurs du XI Xè- 
me siècle, comme RANKE ou ARNDT. 
Leurs productions relèvent d'une carica- 
ture de la science historique moderne. 
En RDA, au contraire, les livres d'histoi- 
re se comptent par milliers. L'historio- 
graphie de la RDA, que l'on peut quali- 
fier de globalisante, cherche, bien sûr, 
à confirmer les dogmes marxistes, 
mais elle a le mérite d'exister et, 
surtout, d'avoir une volonté pédagogique. 

Par le conflit Est-Ouest, que déplore 
DIWALD, les Allemands de l'Ouest 
en viennent à percevoir les Allemands 
de l'Est comme des ennemis irréducti- 
bles. Cet situation rappelle la Guerre 
de Trente Ans, théâtre d'une lutte 
fratricide entre Protestants et Catholi- 
ques. Cette césure est d'autant plus 
déplorable que tous les Allemands, 
qu'ils soient de l'Est ou de l'Ouest, 
risquent d'être les victimes d'une guerre 
nucléaire limitée à l'Europe. Cette 
inquiétante perspective devrait rappro- 
cher les Allemands de façon à ce qu'un 
habitant de Stuttgart se sente plus 
proche d'un marxiste de Leipzig que 
d'un démocrate ou d'un républicain 
de Dallas ou de Washington. 

Ces propos hétérodoxes sur le destin 
des deux Allemagnes ne constituent 
pas l'unique intérêt de Mut zur Geschich- 
te. En effet, il existe bel et bien une 
approche diwaldienne de l'histoire. 
Dès Geschichte der Deutschen, DIWALD 
a inauguré une méthode: celle de la 

chronologie inversée. Dans Mut zur 
Geschichte, il explique quel est l'intérêt 
de cette méthode. Pour DIWALD, l'histoi- 
re est et reste actualité. Le présent 
est le fruit des décisions et des événe- 
ments du passé. Pour reconstruire le 
processus historique, il faut partir 
de l'expérience vécue, interroger les 
témoins des générations précédentes 
et ainsi retrouver un regard sur l'histoi- 
re non falsifié par les aléas du temps 
présent. 

Dans Mut zur Geschichte, DIWALD 

critique le vocabulaire obsolète de 
la politique politicienne actuelle. Premiè- 



re cible de cette critique: la dichotomie 
gauche/droite. Cette dichotomie de 
vocabulaire s'est instaurée au XIXème 
siècle, à la suite de la Révolution Françai- 
se où la répartition des sièges à l'Assem- 
blée Nationale se faisait selon un axe 
gauche/droite. Depuis, les conservateurs 
sont classés à droite, les sociaux-démo- 
crates, socialistes et marxistes à gauche. 
Pour les libéraux, ce mécanisme de 
localisation ne fonctionne que maladroi- 
tement car, de 1815 à 1848 (l'ère de 
METTERNICH), les libéraux étaient 
classés à gauche alors qu'aujourd'hui 
la tendance serait de les situer à droite. 

Quant aux Burschenschaf ten (corporations 
d'étudiants), elles étaient considérées 
comme nationalistes et libérales, donc 
de "gauche". Aujourd'hui, elles sont 
classées à "droite", du fait de leur 
nationalisme. Et ce sont surtout les 
termes "national" et "nationalisme" 
qui posent un problème dans l'orbite 
de cette dichotomie. Il y a 150 ans, 
les tendances nationalistes étaient 
classées à "l'extrême-gauche". Aujour- 
d'hui, elles le sont à "l'extrême-droite", 
sauf, parfois, pour les nationalismes 
"régionaux" de Corse, du Pays Basque, 
de Catalogne, d'Irlande, d'Erythréc, 
des Saharouis, etc. Les groupuscules, 
cénacles, clubs qui refusent cette dicho- 
tomie apparaissent comme aberrants, 
tant le schéma gauche/droite, commode 
pour ceux qui ignorent ou veulent igno- 
rer les méandres de l'histoire, a anéanti 
l'évaluation critique des forces ou des 
alternatives politiques. Ce schéma 
cherche à figer une réalité fluide. 

Un autre chapitre intéressant dans 
Mut zur Geschichte est celui qui cherche 
à situer la position de l'Allemagne 
au centre du continent européen ("Tcils 
Zcntrum, tcils Vakuum. Deutschland 
im Mittelfeld Europas"). Pour le non- 
Allemand, le miracle économique, la 
prospérité industrielle de la RFA (aujour- 
d'hui en déclin) semble exclure l'idée 
d'un malaise allemand. C'est tomber 
sous la séduction des apparences économi- 
ques et consuméristes car les Allemands 
d'aujourd'hui vivent dans une situation 
historique et politique anormale, issue 
des deux guerres mondiales et de l'inter- 
prétation a posteriori de celles-ci, 
vulgarisée en Occident; 

DIWALD analyse aussi avec brio la 
presse intellectuelle, la presse d'idée 
de la République de Weimar. Entre 




(î 




1924 et 1929, dit-il, on peut réellement 
parler d'un âge d'or de la pensée politico- 
culturelle. Cet âge d'or, en l'occurence, 
c'est, ici, le déchaînement éruptif 
de tout un faisceau de potentialités 
intellectuelles et artistiques, reflets 
d'une extraordinaire créativité que 
notre siècle finissant n'a plus jamais 
revu. Cette richesse culturelle est 
pourtant née à une époque où la politique 
côtoyait le désastre, avec la crise de 
1929 comme apothéose. 

Pour DIWALD, les leçons de l'histoire 
doivent aiguiser notre jugement sur 
l'actualité. Les siècles précédents nous 
ont légué une manière de concevoir 
et de percevoir l'Etat: comme une 

personne capable de prendre des déci- 
sions en toute liberté, d’agir librement. 
En fait, aucun Etat ne possède une 
telle indépendance, même pas les Etats- 
Unis ou l'Union Soviétique. La liberté 
d'un Etat est toujours limitée par les 
contraintes géographiques, économiques, 
etc. (facteurs objectifs) et par les 
traités, alliances, conventions, accords, 
etc. (facteurs subjectifs). Mais ces 
facteurs subjectifs ne limitent la souve- 
raineté que parce qu'ils ont été choisis 
librement comme cadre d'action. Ce 
type de cadre d'action est rarement, 
sinon jamais, définitif car aucune puissan- 
ce, même grande, ne peut, à la longue, 
accepter de vivre sous des clauses 
qui en viennent à contrarier les intérêts 
de la population. Les temps changent 
et les traités doivent suivre ce processus. 

Cette perspective souple, qui prend 
en compte l'inéluctabilité du changement 
dans le rapports de force, se retrouve 
dans l'art de façonner des traités et, 
finalement, dans la charte des Nations 
Unies. Pourtant, cette perspective 
souple, propre à la diplomatie européenne 
du XVIIème au XIXème siècles, a subi 
une première entorse de 1914 à 1918. 
L'ennemi n'est plus, depuis, un "partenai- 
re hostile" mais un "criminel". Cette 
criminalisation de l’adversaire dérive 
de l'industrialisation des affrontements 
militaires, des tactiques et des straté- 
gies, qui implique la guerre totale et 
recèle les germes de Pcxtcrminisrne. 
Hans cette optique, les causes de guerre 
se muent en autant de "culpabilités". 
Ces "culpabilités" sont amplifiées et 
véhiculées par les propagandes et c'est, 
en conséquence, au départ de ces amplifi- 
cations et de ces exagérations que 
se font les politiques apres les hostili- 
tés. 

Les conséquences de cette déqualifica- 
tion morale de l'adversaire vaincu sont 
incalculables. On peut citer l'exemple 
de Versailles, dont les clauses étaient 
inadmissibles pour les Allemands, les 
Austro-Hongrois, les Turcs et, dans 
un registre différent, les Russes. Certes, 
admet D1WALO, une victoire des Empires 
Centraux aurait sans doute instauré 
une situation inverse, inadmissible pour 
les Anglais et les Français. Quoi qu'il 
en soit, après Versailles, la diplomatie 
internationale a pris de mauvaises 
habitudes. La dépréciation de l'adversaire 
n'est pas toujours d'ordre moral; elle 
est parfois d'ordre économique. Pour 
autant que morale et économie soient 
étroitement liées dans le mental puritain 
américain. Ainsi, le diplomate américain 
Joseph C. GREW qualifiait l'axe Rome- 
Berlm-Tokyo comme le rassemblement 
des "havenots" (de ceux qui ne possèdent 
rien) contre les "possédants". Dès le 
14 août 1941, sur le navire de guerre 
'Prince of Wales', CHURCHILL et 



ROOSEVELT, chefs de nations "possédan- 
tes", élaborent la 'Charte de l'Atlanti- 
que' et projettent la 'Croisade contre 
l'Europe' (une Europe menée par les 
nations "pauvres" selon l'optique de 
GREW), avant même l'entrée en guerre 
des Etats-Unis. Cette rencontre fut 
achevée par un service religieux où 
la chorale entonna "Onward Christian 
Soldiers" '. Quatre ans plus tard, les 
"puissances de l'obscurité", en l'occuren- 
ce l'Axe, sont défaites et c'est l'Union 
Soviétique qui hérite de leur "mauvais 
rôle", à la fois "totalitaire" et "pauvre 
sur le plan financier". CHURCHILL 
utilise, dans son discours anti-soviétique, 
la même rhétorique et la même emphase 
que dans son discours anti-hitlérien. 

La Guerre Froide des années cinquante 
tendait à bipolariser à l’extrême le 
jeu politique international. Dans ce 
jeu, les super -puissances estimaient 
que qui n'était pas avec elles, était 
contre elles. Le ministre américain 
des Affaires Etrangères, John Foster 
DULLES a résumé la situation en une 
formule lapidaire: "Nous ne pratiquons 
en Europe ni une politique allemande 
ni une politique française. Nous y prati- 
quons une politique américaine D'où 
l'URSS a été obligéede pratiquer une 
politique soviétique dans sa zone d'influ- 
ence. D'autant plus, qu'aux yeux des 
Soviétiques, les Etats-Unis pratiquent 
une politique d'encerclement de leur 
territoire par le truchement des Pactes 
(OTAN, CENTO, SEATO). Cette politique 
n'est plus celle du "roll-back", dont 
l'exemple historique demeure la sanglan- 
te guerre de Corée, mais celle du "con- 
taminent", c'est-à-dire d'une défensive 
qui "gèle" les processus de mutation 
en cours dans le monde. Cependant, 
l'option "roll-back" demeure sous-jacente 
dans la pensée diplomatique américaine 
qui, parfois, la juge plus "morale" vis- 
à-vis des peuples "opprimés par l'URSS". 
Face à ces stratégies, l'URSS cherchera 
à se dégager de l'enserrement des 
pactes. Comme le soulignait Indira 
GANDHI, pour indiquer le cercle vicieux 
de la bipolarité USA/URSS: "Lorsqu'on 
pratique une politique d'encerclement 
à l'égard de l'Union Soviétique, il ne 
faut pas s'attendre à ce qu'elle ne 
réagisse pas". Pour Indira GANDHI, 
ce jugement ne s'applique pas seulement 
à la situation d'avant I960 mais surtout 
au rapprochement sino-américain depuis 
NIXON. 

A cause de la bipolarisation, le vocable 
"neutralité" a progressivement acquis 
une connotation péjorative. Après s'être 
félicité du statut de neutralité de l'Autri- 
che, DULLES, en 1956, définit la neutrali- 
té comme une option fondamentalement 
immorale. Ce jugement est exemplaire 
du refus américain (du reste typiquement 
"protestant" et "puritain") de toute 
tierce voie. Les Soviétiques ont eu 
tendance à réagir de la même manière, 
surtout à l'égard des pays d'Europe 
Occidentale. Les deux super-puissances 
ressemblent, écrit D1WALD, au Cyclope 
Polyphème: elles sont des géants qui 

n'ont qu'un oeil. 

Devant pareille insuffisance, face à 
pareil monolithisme, vingt-cinq chefs 
d'Etat et de Gouvernement se sont 
réunis, en 1961 à Belgrade, pour forger 
un nouveau principe à appliquer dans 
les relations internationales: le non- 

alignement. Cinquante-cinq pays se 
sont déclarés neutres dans cette foulée. 
Le monde s'est ainsi partagé en trois 
groupes de pays: l'Ouest avec 104 1 



millions d'habitants, l'Est avec 1008 
millions et les "neutres" avec 903 mil- 
lions. Cette conférence de Belgrade 
ne s'est pas assignée un programme 
rigide à appliquer mais, plus souplement, 
une ligne 'de conduite: garder l’équi- 

distance vis-à-vis des "puissances-mam- 
mouths" et des blocs qu'eljes coagulent 
autour d'elles, sans que cet éloignement 
prudent et volontaire ne signifie un 
désintérêt pour l'histoire, pour les 
événements qui mettent le monde en 
marche ou risquent de le précipiter 
dans le désastre. 

Ainsi, il n'est pas possible de confondre 
"non-alignement" et "pacifisme", le 
"non-alignement" n' impliquant pas un 
refus des choses militaires. De surcroît, 
le "non-alignement" n'exclut ni la possibi- 
lité de se rassembler en coalitions 
ni le libre choix du régime politique 
intérieur. Parmi les Etats non alignés, 
il y a, en effet, des monarchies et 
des dictatures, des démocraties de 
modèle occidental et des républiques 
de style marxiste. Pour NEHRU, grand 
initiateur du non-alignement, les idéolo- 
gies universalistes, "libéralo-occidentales" 
ou "marxistes/orientales", ne sont que 
des facteurs de confusion. Il déclarait 
à ce propos: "Je considère comme utile, 
d’oublier le communisme et l'ant i-commu 
nisme et de prendre en compte les 
nations telles qu'elles sont". C'est 
là un jugement de simple bon sens, 
qui renoue avec les éléments fondamen- 
taux de la politique pure, c'est-à-dire 
une politique débarrassée des scories 
idéologiques mondia I istes. Cet axe 
paradigmatique ne s'est pas estompé, 
maigre la pression des super-puissances. 

Quant à la Chine, elle a d'abord joué 
un rôle indépendant et constitué une 
puissance détachée des blocs. Position 
qui a sans doute séduit tous les maoïstes 
de 1965 à 1974. DIWALD ne semble 
ni redouter ni critiquer sérieusement 
l'alignement sur Washington de l'actuelle 
diplomatie chinoise. C'est le seul tout 
petit point d'ombre de sa démonstration. 

Pour la zone Pacifique, DIWALD es- 
compte un rassemblement, autour d'un 
Japon dés-américamsé, du "Club des 
Cinq" (Thaïlande, Malaisie, Singapour, 
Indonésie, Philippines). Certes, l'influence 
américaine y est très importante, trop 
importante peut-être pour qu’un glisse- 
ment puisse s'opérer à court terme. 
Mais, outre l'option américaine, les 
Etats d'Extrême-Orient auraient grand' 
peine, sans un pilier japonais autonome, 
à se dégager des pôles chinois et russe, 
ces derniers considérant l'Océan Pacifi- 
que comme une de leurs zones naturelles 
d'influence. 

Mais cette multiplication des "centres 
intégrateurs", qu'implique-t-elle pour 
l'Europe ? C'est au cours de la Guerre 
Froide que l'Europe a choisi, par le 
truchement de ses politiciens libéraux 
et démocrates-chrétiens, le camp atlan- 
tiste avec, pour corollaire, son orienta- 
tion géopolitique atlantique. Le Plan 
Marshall a grandement contribué à 
affermir cette option. Mais l'Europe 
doit-elle rester à ce stade de son évolu- 
tion historique, vieux de plus de trente 
ans ? Charles DE GAULLE a contesté 
ce blocage, en sortant de l'OTAN, 
et révélé, ainsi, qu'il existait des inté- 
rêts français et européens spécifiques 
qui ne pouvaient s'exprimer dans le 
contexte de cette dépendance mécanique 
que l'Europe subit par rapport au systè- 
me de Yalta. S'il est une tâche que 




le Parlement de Strasbourg devrait 
s'assigner, c'est bien de définir une 
politique d'indépendance à l'échelle 
continentale. Et de congédier une fois 
pour toute la pensée politique engoncée 
dans le mythe décrépit de l'Etat-Nation. 
Cette Europe serait libre de pactiser 
avec le ou les partenaire(s) de son 
choix: monde arabe, USA, URSS, Tokyo, 
New Dehli ou Pékin. Certes, DIWALD 
se rend compte que cette orientation 
est impossible actuellement tout en 
étant nécessaire. Et les nécessités 
ne nous interrogent pas sur nos envies 
ou nos craintes. Si nous n'opposons 
pas aux blocs une volonté, une volonté 
de faire l'histoire, nous demeurerons 
"grandeur opérative" pour les autres, 
territoire de manoeuvres et de luttes 
militaires pour les expériences stratégi- 
ques atomiques d'autres puissances. 
Cette perspective nous réduirait au 
rôle de continent-mausolée, si, toutefois, 
les autres peuples auront ce geste de 
piété. 

En résumé, une vaste vision historique, 
à laquelle souscrit largement notre 
rédaction: voilà ce que constitue Mut 

zur Geschichte. DIWALD est un auteur 
dont nous conseillons chaleureusement 
la lecture. 



V.G. 



Hellmut DIWALD, Mut zur Geschichte, 
Gustav Lübbe Verlag, Bergisch Gladbach, 
1983, 253 S., 29,80 DM. 




EVOLUTIONNISME ET CATHOLICISME 



Les rapports entre pensée scientifique 
et pensée religieuse n'ont que rarement 
été étudiés en profondeur. Généralement, 
ce sont les conflits, les oppositions 
entre la sphère scientifique et la sphère 
religieuse qui ont mobilisé l'attention 
des érudits et des polémistes. Ce fut 
vrai pour "l'affaire Galilée" comme 
pour la question du darwinisme. 

La France des dernières décennies 
du XIXème et des premières du XXème 
a été le théâtre d'affrontements idéologi- 
ques qui reflétaient les espoirs, les 
déceptions et les ambiguïtés de la pensée 
d'alors, marquée par l'opposition entre 
science et religion. Monseigneur d'HULST, 
recteur de l'Institut Catholique de 
Paris, indiquait, en 1885, la menace 
qui pointait à l'horizon: l'affaiblissement 
des idées religieuses. Pour d'HULST, 
l' irréligion populaire dérivait de l'irré- 
ligion des élites. L'objectif que devait 
dès lors s'assigner l'Eglise était de 
reconquérir les élites et cette reconquête 
aurait eu ipso facto des répercussions 
sur les masses. Le diagnostic de l'ecclé- 
siastique était simple: les intellectuels 

se détachent du christianisme à cause 
des séductions des sciences et de l'his- 
toire. Les sciences génèrent l'athéisme 
car elles se passent de l'hypothèse 
d'un Créateur. L'histoire, appliquant 
aux faits humains l'idée d'évolution, 
conclut à l'impossibilité du miracle 
et à l'équivalence de toutes les reli- 
gions. Monseigneur d'HULST estimait 
donc qu'il fallait s'intéresser aux mêmes 
domaines de l'esprit que les intellectuels 
irréligieux, mais en changer les postulats 
de base. Il fallait à d'HULST une philoso- 
phie non-cartésienne, qu'un retour 




Ci -dessus, Jean Baptiste de Lamarck 
qui formula en 1809 la théorie du 
transformisme , rejetant le dogme de 
la fixité des espèces. Ci-contre, Pierre 
Teilhard de Chardin qui parla, a propos 
du mécanisme de l'évolution, d'un 
"hasard dirigé" et d'un "gradualisme 
linéaire ", 

à Thomas d'Aquin lui procurait partiel- 
lement. 

Le catholicisme français s'est, sous 
cette impulsion de d'HuIst, considérable- 
ment^ transformé. D'abord, il y eut le 
problème de l'évolution que les Catholi- 
ques finirent par accepter. La science 
comme la religion spéculaient, avant 
DARWIN, sur l'immutabilité des espèces. 
L'évolutionnisme impliquait, au contraire, 
un abandon des absolus et de l'objectivité 
(celle des dogmes fixistes). Un penseur 
catholique et conservateur, Albert 
de LAPPARENT, a cherché à sauver 
les piliers de la science classique et 
du christianisme traditionnel: la connais- 
sance absolue, "l'objectivité", la vision 
newtonienne du monde physique. Cette 
entreprise s'est, on s'en doute, heurtée 
à bon nombre de difficultés. Le monde 
intellectuel catholique a alors adopté 
une autre stratégie: celle de la sépara- 
tion radicale des sphères religieuse 
et scientifique. C'est l'axe fondamental 
de l'oeuvre de Pierre DUHEM. Classé 
"thomiste", DUHEM fut cependant 
vigoureusement attaqué par les gardiens 
de l'orthodoxie thomiste stricto sensu. 
Auteur d'une histoire de la philosophie, 
PARODI écrivit au sujet de DUHEM: 
"Il semble que la révolution des idées 
soit ici entière, radicale: par-delà trois 
siècles de mécanisme cartésien, par- 
delà la Renaissance, on s'aperçoit avec 
stupeur que ce physicien catholique 
(DUHEM) nous ramène jusqu'à la doctri- 
ne scolastique des formes substantielles, 
jusqu’à la physique d'Aristote et de 
Saint Thomas" (1919). 

Outre des études approfondies sur de 
LAPPARENT et DUHEM, l'auteur de 
The Edge of Contingency. Trench Catho- 
lic Reaction to Scientific Change from 
Darwin to Duhem, Harry W. PAUL, 
pr' fesseur d’histoire à l'Université 
de Floride à Gainesville (USA), brosse 
un panorama très détaillé de l'intelligen- 
ce française du XIXème, face aux défis 
de la science. 

La Weltanschauung religieuse et scientifi- 
que du clergé du XIXème siècle postulait 
la nécessité de l'hypothèse de Dieu 
pour expliquer la création, l’ordre et 
l'harmonie de l'univers, l'existence 
de la vie et, plus spécialement, l'unicité 
de l'homme. Par rapport au XVlIème 
siècle, où les philosophes chrétiens 
estimaient que la science avait généré 




une arrogance intellectuelle conduisant 
l'homme a préférer ses propres notions 
au verbe inspiré de Dieu, la philosophie 
cléricale va insister davantage sur 
l'ordre, l'organisation du monde et 
de la création, faits qui, selon son 
optique, ne peuvent être fruits du hasard. 

Ainsi, Pierre LECOMTE de NOüY affir 
me que l'ordre de l'univers est incompré- 
hensible sans l'hypothèse de Dieu et 
que la nouvelle science, dont l'objet 
est de "révéler" les structures profondes 
de cet ordre, est, finalement, en accord 
avec la vieille religion. En Allemagne, 
Max PLANCK, avant de développer 
sa théorie des quanta, et, en Angleterre, 
Alfred North WH1TEHEAD pensaient 
que les progrès de la science allaient 
codifier les postulats de la religion 
et leur donner une assise plus solide. 

Mais l'idée statique d'un ordre sera 
défiée par le darwinisme et la notion 
d'évolution. En effet, avec DARWIN, 
on passe d'une "histoire naturelle" 
orientée vers la taxonomie à une biologie 
évolutionniste basée sur le dynamisme 
et la causalité. L'intelligence cléricale 
ne pouvait, à cette époque, avaliser 
ce monde mouvant postulé par l'évolution 
nisme darwinien. Elle a opté pour "l'hypo- 
thèse mosaïque", pour l'autorité des 
Ecritures. Le philosophe qui illustre 
parfaitement ces prises de position 
anti-évolutionnistes est Guillaume-René 
MEIGNAN, archevêque de Tours. Dans 
ses écrits, MEIGNAN réaffirme l'anthro- 
pologie biblique, l'unicité du genre 
humain et lance attaque sur attaque 
contre la vision darwinienne et la thèse 
de la pluralité des espèces humaines. 

Par ailleurs, MEIGNAN accuse la philoso- 
phie des Lumières du XVIIIème siècle 
d'avoir ressuscité le matérialisme épicu- 
rien et s'insurge contre le fait que 
le XIXème siècle n'ait rejeté ces théo- 
ries crues pour ne leur substituer qu'un 
"panthéisme sournois" dérivé de GOETHE, 
SCHILLING et surtout HEGEL. En 
matière scientifique, MEIGNAN se 
référera au biologiste suédois Cari 
LINNE qui, pourtant, avait été critiqué 
par l'Eglise pour avoir classé l'homme 
parmi les anthropomorphes. 

Ce noyau doctrinal sera surtout véhiculé 
par la "Société Scientifique de Bruxelles" 
et les Instituts Catholiques de Paris 
et de Lille. L'Université Catholique 
de Louvain a, bien sur, joué un rôle 



non négligeable dans la diffusion de 
ces doctrines. 

Le darwinisme était taxé d’absurdité 
car il faisait dériver le "parfait” du 
"non-parfait" ou, pire, du néant. Pour 
l'intelligence catholique, l'homme connaît 
Dieu et, de ce fait, se sépare radicale- 
ment des autres "règnes" (minéral, 
végétal et animal selon la classification 
de de QUATREFAGES). La science 
doit mener à cette "vérité" dont émane 
la révélation, la religion. L'intelligence 
catholique a visé une future symbiose 
entre science et religion, dont l'oeuvre 
de TEILHARD de CHARDIN constitue 
le fleuron. Mais pour arriver à cette 
symbiose, il fallait accepter bon nombre 
d'implications de l'évolutionnisme. 
Cette acceptation progressive sera 
le fait d'une nouvelle génération de 
philosophes catholiques. 

Si l' an t i - évolutionnisme catholique 
a d'abord occupé l'avant-scène des 
polémiques françaises, il existait parallè- 
lement un évolutionnisme catholique. 
Celui-ci ne se manifestera ouvertement 
qu'à partir des années 1880. Le Comte 
BEGOUëN père, dans La Création évoluti- 
ve (1879) avançait l'idée que le principe 
de création n'était pas incompatible 
avec la théorie de l'évolution. En tenant 
compte de ce courant de pensée, il 
est impossible de faire l'équation: pensée 
catholique pensée anti-évolutionmste. 
Une fois de plus, la polémique à propos 
du darwinisme ne saurait être réduite 
à un schéma manichéen. Le "salon" 
de la famille Bégouën suggérait une 
voie médiane, affirmant la possibilité 
d'une évolution "dirigée" par Dieu. 
BEGOUëN père estimait que les bases 
de l'évolutionnisme se repèrent déjà 
dans la Genèse et dans le "système 
mosaïque". Les Catholiques devront 
dès lors veiller à ne pas considérer 
l'évolution comme une force aveugle 
et brute mais comme l'action continue 
de la volonté divine, logique et rationnel- 
le. 

Un autre scientifique catholique, Denys 
COCHIN, affirmera qu'il existe une 
évolution partielle, limitée au monde 
vivant, mais que l'évolution "universelle" 
est un non-sens. COCHIN, en plus, 
se montre séduit par la croyance optimi- 
ste en un progrès indéfini qu'il rencontre 
chez DARWIN. C'est une aspiration 
continue, écrit-il, vers la perfection. 
Et il ajoute que si DARWIN nous offre 
des singes comme ancêtres, il nous 
promet que nous n'en auront pas comme 
enfants. COCHIN démontre aussi que 
le darwinisme n'exclut ni le principe 
de cause finale ni l'idée d'un Créateur 
et peut être interprété de façon à 
confirmer l'un et l'autre. 

Le dominicain LEROY accepte l'évolu- 
tionnisme, tout en croyant aux "princi- 
pes" des adeptes de la fixité des espèces, 
et reconnaît l'action constante de la 
divine Providence dans l'univers. L'émer- 
gence de l'âme humaine s'est perpétrée 
dans un corps préparé, au cours de 
l'évolution, à cet effet. Rome met 
les ouvrages de LEROY à l'index en 
1895 '. Mais l'acceptation de l'idée 

d'évolution était acquise, au sein de 
l'intelligence catholique française. 
Le Professeur Harry W. PAUL nous 
dévoile toutes les méandres, toutes 
les étapes de ce télescopage de la 
théologie et de la biologie évolution- 
niste. Nous apprenons ainsi comment 
certaines théories organicistes et néo- 
vitalistes allemandes, dont celles de 



Mans DRIESCH (étudiées dès 1910 par 
Jacques MARITAIN) ont eu un impact 
dans la pensée catholique française 
(et donc belge francophone). PAUL 
évoque aussi l'oeuvre du Néerlandais 
BUYTENDIJK et les avatars catholiques 
du bergsonisme. 

Son ouvrage est indispensable à qui 
veut saisir l'essence d'un XIXème siècle, 
finalement bien oublié de nos contempo- 
rains. 

M. F. 

Harry W. PAUL, The Edge of Contingen- 
cy. French Catholic Reaction to Scien- 
tific Change from Darwin to Duhcm, 

The University Presses of Florida (15 

N. W. 15th Street / C.ainesville, Florida 
32.603), 1979, 213 p., US$ 15,00. 





Pendant deux décennies, depuis le 
début des années cinquante jusqu'aux 
années septante, les économies des 
pays industriels d'Occident et du Japon 
ont connu une croissance continue: 
le boom. Les destructions causées 
par la seconde guerre mondiale, l'expul- 
sion de millions de personnes hors 
de leur patrie et l'énorme besoin en 
biens qui en a découlé d'une part, 
le bien-être croissant de plus larges 
catégories de la population, les innova- 
tions techniques dans le domaine des 
communications, l'émergence de l'in- 
dustrie des loisirs d'autre part, ont 
été les incitants majeurs de cette 
haute conjoncture planétaire. 

Quand le développement s'est interrom- 
pu en 1973 avec la première crise 
pétrolière, les experts et les hommes 
politiques ont tous cru que les taux 
de croissance négatifs et la montée 
du chômage constituaient l'une de 
ces récessions périodiques, typiques 
du système d'économie capitaliste. 
Ils espéraient que les vertus auto-curati- 
ves du marché ou les mesures pour 
favoriser la conjoncture, impliquant 
l'aide des fonds publics, allaient remet- 
tre l'économie mondiale sur pied. 
Après dix années de stagnation, les 
illusions se sont envolées. 

Werner MEYER-LARSEN, chroniqueur 
au Spiegel (Hambourg) et spécialiste 
des questions économiques, énumère, 
dans son ouvrage Ende der Nachfrage? 
Ursachen der Weltwirtschaf tskrise, 



les principales causes de la crise écono- 
mique actuelle; elles sont au nombre 
de neuf: 

1) La croyance en un mirage idéologico- 
philosophique, celui de la croissance 
infinie. Pour MEYER-LARSEN, l'infini, 
en ce domaine, n'existe pas. Mais 
toutes les idéologies économiques, 
véhiculées par les partis politiques 
et les systèmes religieux désuets, 
propagent dans la société ce mirage 
de l'infini, héritier de l'infinitude 
divine de la théologie. Appuyant sa 
démonstration sur les thèses de ROSTOW, 
SCHUMPETER et KONDRATIEV (e.a.), 
Werner MEYER-LARSEN critique 
le blocage mental qui dérive d'une 
fausse interprétation de l'histoire, 
interprétation messianique qui voit, 
dans les taux élevés de croissance, 
la preuve d'un salut, d'une récompense 
divine. 

2) La faiblesse dans l'innovation avait 
déjà été prévue par SCHUMPETER 
qui estimait que les découvertes techni- 
que déterminaient la marche de l'écono- 
mie. Elles étaient en étroite relation 
avec les cycles conjoncturels; la montée 
d'une nouvelle technique enclenche 
un processus nouveau, tandis que les 
techniques anciennes ne produisent 
plus ni bénéfices ni profit et que les 
entreprises basées sur ces anciennes 
techniques entrent en crise. C'est 
un processus redevenu très actuel: 
les anciennes structures industrielles 
(sidérurgie, etc.) n'offrent plus autant 
de potentialités que, par exemple, 
les micro-processeurs ou la bio-technolo- 
gie. De plus, l'Europe n'investit que 
fort peu de capitaux dans les nouvelles 
technologies au contraire du Japon, 
de l'Asie du Sud-Est et des Etats- 
Unis. 

3) Les capitaux sont rares: il y a peu 
ou il n'y a pas d'argent et trop de 
dettes. Les pays du Tiers-Monde ne 
peuvent plus payer leurs dettes. Le 
système bancaire occidental a investi 
à fonds perdus dans les pays du Tiers- 
Monde. Ces sommes colossales sont 
bloquées et manquent cruellement 
aux circuits conventionnels de capitaux. 
Cette situation engendre la hausse 
vertigineuse des taux d'intérêt; ce 
qui bloque davantage encore ceux 
qui font usage de crédits. Les machines 
économiques des nations tournent 
pour payer les intérêts, plus pour 
accroître la force industrielle et vitale 
des peuples. 

4) La surproductivité découle de l'auto- 
matisation qui limite la quantité de 
travail salarié. L'automatisation postule 
donc une réorganisation du travail 
au sein de toutes les sociétés. Or cette 
réorganisation qui, selon MEYER-LAR- 
SEN, implique aussi une diminution 
du temps de travail voire un assouplis- 
sement des horaires, ne correspond 
pas aux schémas conceptuels du patro- 
nat actuel puisqu'elle exige la création 
d'un capital propre, quasi patrimonial. 
Nous vivons dès lors un paradoxe: 
celui d'une société intelligente sur 
le plan technique qui refuse de se 
donner une intelligence sociale adaptée 
aux mutations technologiques. 

5) Les écoles néo-libérales condamnent 
les politiques sociales et les accusent 
de "provoquer des catastrophes en 
voulant le bien". Certes, les politiques 
sociales ont connu des abus flagrants 
et généré un "profitariat généralisé". 



9 




Elles ont pourtant fonctionné quand 
il y avait plein emploi et rentabilité 
maximale du travail presté. Mais ce 
"bonheur", ce "bien-être" planifiable 
ont dissous les solidarités spontanées 
et créé le grand anonymat actuel. 
Puisque les institutions étato-caritatives 
existaient, les solidarités naturelles 
n'étaient plus nécessaires. Dès lors, 
la notion même de solidarité s'est 
estompée et a disparu et les institu- 
tions d'aide sociale n'ont plus été 
sollicitées que par pur intérêt. Ainsi 
s'est instauré un esprit revendicateur 
aux conséquences pernicieuses. Malgré 
la crise économique et la stagnation, 
les revendications ont été satisfaites. 
De là, un déséquilibre qui a accentué 
le marasme. 

6) La sixième cause de la crise, MEYER- 
LARSEN la perçoit dans le centralisme 
des politiques technologiques et énergéti- 
ques. Ce centralisme impose d'autorité 
ses conceptions et dispose de fonds 
quasi inépuisables. D'autres potentiali- 
tés se voient ainsi refoulées. 

7) La technostructure planétaire (C.AL- 

BRAITH) étouffe les diversités et 
réduit ipso facto le marché de l'emploi 
par forte concentration. Mêmes chaînes 
d'hôtels, mêmes "boîtes à bouffe" 
(sic) d'Honolulu au Cap et du Cap 

à Oslo (Mac Donald, etc.). Finalement, 
l'industrie du charbon et de l'acier, 
la chimie, la construction automobile, 
la vente en masse de hamburgers 
sont concentrées dans les mains d'organi- 
sations gigantesques qui créent une 
"culture économique" universelle et 
sans racines. Les "gourous" de ces 
"politburos" marchands tablent sur 
des constantes anthropologiques socié- 
taires (et non communautaires) fixes, 
imperméables et insensibles à toute 
mutation. Non révolutionnaires mais 
médiocrement "évolutionnaires", ces 

fixismes bloquent le changement global 
de société dont nous avons un besoin 
urgent. Des milliards sont investis 
pour préserver l'emploi d,ans ces appa- 
reils atteints d'éléphantiasis. Ces 

appareils interdisent toute circulation 
normale des compétences et des talents 
en Occident. 

L'innovation n'est pas une nécessité 
vitale pour ces firmes. L'intelligence 
leur est donc un défi. 

8) Les économistes professionnels 
sont de "faux prophètes", écrit MEYER- 
LARSEN, qui refusent de reconnaître 
les vraies causes de la crise. C'est 
la fascination qu'exercent, sur eux, 
les dogmes économiques du passé... 

9) Selon Werner ME YER-LARSEN, 
l'impérialisme militaire est un trop 
grand dévoreur de budgets. 

Ces neuf facteurs de crise, doivent- 
ils nous faire conclure à une décadence 
irrémédiable ou à une phase transitoire 
difficile ? Ce dilemme est classique 
dans l'histoire du capitalisme. Lors 
des trois grandes crises (1879/1929/ 
1979), on s'est posé cette question. 
Nous vivons peut-être une de ces 
crises périodiques du capitalisme. 
Quoi qu'il en soit, MEYER-LARSEN 
conclut: "La haute conjoncture des 

trois dernières décennies était plutôt 
une évolution économique anomale. 
11 s'agit aujourd'hui de prendre congé 
de la fiction d'une croissance infinie". 
Un livre d'actualité économique qui 
a le grand mérite de puiser aux sources 
des théories économiques non dogmati- 



ques: SCHUMPETER, JUGLAR, SOM- 

BART, etc. et de ne pas succomber 
aux séductions tapageuses du néo-libé- 
ralisme, plus publicitaire qu'intelligent. 

G.C. 

Werner MEYER-LARSEN, Ende der 
Nachfrage ? Ursachen der Weltwirt- 
schaftskrise, C. Bertelsmann Verlag, 
München, 320 p., DM 34. 




K U R T von SCHLEICHER , DERNIER 
CHANCELIER DE WEIMAR 




Le général Kurt von Schleicher. 



En janvier 1983, la presse a évoqué 
le cinquantenaire de l'accession de 
HITLER au pouvoir. En juin 1984, 
celui de la "Nuit des Longs Couteaux" 
où HITLER élimina ROEHM, STRASSER, 
JUNG et le dernier chancelier de 
la République de Weimar, Kurt von 
SCHLEICHER. Jusqu'ici aucune biogra- 
phie de ce personnage controversé 
n'avait été écrite. L'historien Friedrich- 
Karl von PLEIIWE comble cette lacune. 
Les jugements portés sur SCHLEICHER 
divergent: louanges exagérées, médisan- 
ce déplacée, glorification, suspicion 
de haute trahison, etc. Le qualificatif 
le plus communément attribué au 
général-chancelier fut celui d'"intr igant". 
Cinquante ans après sa mort, il convient 
de cerner avec la plus grande exactitu- 
de possible le rôle politique que SCHLEI- 
CHER a joué en cherchant à former 
une coalition contre HITLER, transcen- 
dant les clivages politiciens convention- 
nels. 

Quel fut l’itinéraire de SCHLEICHER? 
En 1919, pour la première fois dans 
l'histoire militaire allemande, se crée 
un service "des affaires de politique 
intérieure et de politique militaire", 
le "Gruppe III", qui sera confié à SCHLEI- 
CHER. L'Allemagne de 1919 constituait, 
du point de vue militaire, un vide 
au centre de l'Europe. Réduite à 100.000 
hommes, l'armée allemande aurait 
dû pouvoir disposer, selon le Général 
von SEECKT, commandant en chef 
de la Reichswehr, d'au moins 300.000 
hommes pour défendre ses nouvelles 
frontières. SCHLEICHER devait, quant 
à lui, entretenir des relations suivies 
avec des fonctionnaires d'autres ministè- 
res et des représentants des partis 
politiques mais il évitait les commu- 
nistes. D'où, si SEECKT souhaitait 



une armée imperméable à la politique, 
SCHLEICHER voulait éviter que la 
Reichswehr devienne "un Etat dans 
l'Etat". Les soldats ne devaient pas, 
selon lui, être coupés des réalités 
contemporaines. Les officiers devaient 
connaître les problèmes économiques 
et sociaux. 

En politique extérieure, von SEECKT 
voulait une ouverture à l'Union Soviéti- 
que et une coopération étroite entre 
les états-majors de la Reichswehr 
et de l'Armée Rouge. SCHLEICHER 
avait quelques réticences à l'égard 
de l'orientation diplomatique de son 
supérieur hiérarchique. Il redoutait 
moins la France et estimait que toute 
collaboration avec les puissances occi- 
dentales n'était pas à exclure. Les 
plans de SEECKT impliquaient une 
politique dure et sans compromis vis- 
à-vis de la Pologne, puissance ennemie 
et de la Russie et de l'Allemagne; 
pour SEECKT, la Pologne est le pilier 
central de la politique française en 
Europe Orientale. Si une "guerre de 
sanction" contre l'Allemagne, menée 
conjointement par les Français et 
les Polonais, se déclarait, Varsovie 
devait savoir qu'elle aurait alors "les 
Russes dans le dos". Le pessimisme 
de SEECKT en ce qui concerne la 
France était juste: quatre mois après 
son rapport, les divisions françaises 
occupaient la Rhénanie et la Pologne 
ne bougeait pas. 

Le chancelier WIRTH soutenait la 
position de SEECKT. EBERT, en revan- 
che, restait plutôt sceptique. Pourtant, 
SEECKT ne voulait pas d'une alliance 
militaire formelle avec la Russie; 
il ne souhaitait qu'une collaboration 
militaire et industrielle, impliquant 
1) la construction d'une usine aéronauti- 
que, d'une usine chimique produisant 
des gaz asphyxiants et d’une fabrique 
de munitions d'artillerie et 2) la créa- 
tion d'un centre de formation pour 
pilotes militaires allemands, d'une 
école pour l'utilisation militaire de 
gaz et d'une école de chars à Kazan. 
Ces institutions ont fonctionné sans 
heurts jusqu'en 1933. 

Mais l'ère Rapallo n'a duré que de 
1932 à 1924. Gustav STRESEMANN. 
qui prend alors la fonction de ministre 
des Affaires Etrangères, cherche la 
réconciliation avec l'Ouest, particulière- 
ment avec la France. Pour ce faire, 
il s'efforcera de satisfaire les exigences 
françaises en matière de "réparations" 
et en matière de sécurité. C'est l'objec- 
tif majeur de l'"Erf üllungspolitik" 
(la politique qui vise à satisfaire les 
clauses de Versailles), qui sera combat- 
tue avec vigueur par les partis de 
droite et par les communistes. En 
somme, ce programme de STRESEMANN 
est diamétralement opposé à celui 
de SEECKT. SCHLEICHER, quant 
à lui, se montre disposé à accepter 
cette politique d'ouverture à l'Ouest, 
tant qu'elle ne nuit pas aux bonnes 
relations avec Moscou. 

L'année 1924 est aussi celle du Plan 
Dawes. Charles DAWES, un financier 
américain, proposa à Londres de modu- 
ler le paiement par l'Allemagne des 
réparations imposées par Versailles. 
La modulation suggérée permettait 
à l'économie allemande de reprendre 
du souffle et donc, en fait, d'honorer 
plus facilement et plus sûrement ses 
dettes. Les communistes et les conserva- 
teurs ( du Deutsch-vôlkische Freiheits- 





10 



10 



partei/DVFP et du Deutschnationale 
Volkspartei/DNVP) rejettent le Plan 
Dawes comme un "second Versailles". 
Le DNVP conservait toutefois en son 
sein une minorité favorable au Plan. 
SEECKT et SCHLEICHER pensaient 
que seule l'acceptation du Plan Dawes 
éviterait une nouvelle dissolution du 
Reichstag. Depuis cette affaire, SCHLEI- 
CHER a été considéré comme faisant 
partie des politiciens favorables à 
l'Erfüllungspolitik. 

La rupture entre les deux militaires 
s'accomplit lorsque SEECKT demande 
au lieutenant-colonel SCHLEICHER 
de soutenir sa candidature à la présiden- 
ce de la République. SCHLEICHER 
pensait qu'aucune puissance étrangère 
n'accepterait SEECKT comme interlocu- 
teur, l'Union Soviétique excepté. Entre- 
temps, STRESEMANN poursuit sa 
politique d'ouverture à l'Ouest. En 
automne 1925, les délégués britanniques, 
français, italiens, belges, polonais 
et tchèques rencontrent STRESEMANN 
à Locarno. Le traité de Locarno est 
signé le 1 décembre 1925 et suscite 
un vague de remous en Allemagne. 
Les "Deut schnationalen" rejettent 
le traîté et quittent le gouvernement 
car ils refusent d'accepter l'abandon 
définitif de l'Alsace par l'Allemagne, 
la garantie par cinq puissances de 
la frontière franco-allemande et la 
démilitarisation de la Rhénanie. Cette 
politique occidentale n'exclut pas 
l'héritage de Rapallo; les relations 
amicales entre l'Allemagne et la Russie 
se poursuivent. 

Les conceptions de SEECKT passeront 
progressivement à l'arrière-plan. L'ar- 
mée se politisera de plus en plus sous 
l'impulsion de SCHLEICHER et finira 
par se noyer dans l'imbroglio politique 
de Weimar. C'eut été impossible avec 
SEECKT. 

En février 1929, des experts internatio- 
naux se réunissent à Paris pour discuter 
des modalités d'une révision du Plan 
Dawes. C'est un banquier américain 
qui préside la conférence, Owen YOUNG. 
Dans l'affaire du "Plan Young" qui 
succéda à ces pourparlers, SCHLEICHER 
n'adopte aucune position tranchée. 
Adolf HITLER, en revanche, saisit 
l'occasion pour lancer son parti dans 
une lutte où l'enjeu, pour la majorité 
des Allemands, est clair: pas d'esclavage 
éternel 1 Rien ne doit renforcer Ver- 
sailles 1 En conséquence, les bureaux 
d'information de la Reichswehr devaient 
désormais tenir compte du facteur 
NSDAP. Le parti de HITLER voulait 
que des mesures efficaces et concrètes 
pour la défense du pays soient prises 
et exaltait la figure du combattant 
mais, en même temps, manifestait 
une réserve marquée à l'égard de 
l'esprit de caste des officiers. HITLER, 
personnellement, affichait son mépris 
pour la direction d'une armée, complice 
d'un régime "pourri et méprisable". 
En somme, la NSDAP présentait un 
curieux mélange de thèmes positifs 
et négatifs pour les militaires. Le 
Général GROENER, devenu ministre 
de la Reichswehr, et SCHLEICHER 
décident en conséquence de demeurer 
vigilants à l'encontre d'éventuelles 
provocations national-socialistes. Tels 
étaient les rapports entre la Reichswehr 
et la NSDAP en 1929. 

Représenté par douze députés, la NSDAP 
rejette, de concert avec les commu- 
nistes et les "Deutschnationalen" de 



HUGENBERG, le Plan Young, prévoyant 
le paiement de 34,5 milliards de marks- 
or sur une période de 59 ans. L'Alle- 
magne entre dans une période difficile. 
SCHLEICHER jouera un rôle de tout 
premier plan dans les intrigues, les 
bouleversements de cette époque trou- 
blée. La personnalité de SCHLEICHER 
reflétait un fatalisme étonnant rehaussé 
d'un zeste d'optimisme qui le poussait 
à accomplir ses actions, à faire et 
à défaire politiciens, chanceliers et 
ministres. 

PLEHWE voit en SCHLEICHER la 
dernière chance de Weimar. Après 
avoir abandonné son protecteur GROE- 
NER, après avoir hissé BRüNING au 
poste de chancelier pour ruiner ensui- 
te son crédit auprès de HIND!"" 7 BURG, 
après avoir fait gouverner BRüNING 
avec un cabinet hétéroclite composé 
de "barons" et de technocrates sans 
appui populaire, après avoir misé sur 
PAPEN pour le laisser tomber, après 
avoir fait miroiter à HITLER le poste 
de chef de gouvernement et trahi 
cette promesse, SCHLEICHER a cherché 
à désagréger la social-démocratie 
en appuyant les syndicats contre l'appa- 
reil cju parti et à rompre la cohésion 
de la NSDAP en s'alliant avec Gregor 
STRASSER. En tentant de monter 
contre HITLER, vainqueur incontesté 
des élections du 31 juillet 1932, un 
"front" regroupant syndicalistes socia- 
listes et dissidents de la NSDAP, SCHLEI- 
CHER s'est attiré l'inimitié des nazis 
comme des sociaux-démocrates, tout 
en perdant la confiance des politiciens 
issus de son milieu militaire et aristo- 
cratique. 

PLEHWE tente de justifier la politique 
de SCHLEICHER. Le plan du général- 
chancelier, selon l'historien britannique 
John W. WHEELER-BENNET (I), était 
de gouverner au moyen du fameux 
article 48 de la Constitution de Weimar 
qui permettait au Président du Reich 
de gouverner seul quand la "patrie 
était en danger". L'article 48 aurait, 
par la suite, été modifié de façon 
à imposer un gouvernement autoritaire 
et stable. SCHLEICHER voulait donc 
un régime présidentiel éloigné du "ma- 
rais" démocratique et parlementaire, 
ce régime présidentiel serait appuyé 
par l'armée; éliminerait la social-démo- 
cratie de la vie politique; dissolverait 
le Parlement, le temps de rédiger 
une nouvelle constitution, prévoyant 
une représentation corporative et 
syndicale. 

SCHLEICHER était d'abord décidé 
à réaliser ce projet avec l’aide des 
forces conservatrices, de la DNVP 
et de la NSDAP. Au sein de la NSDAP, 
il s'agissait de privilégier les éléments 
les plus conservateurs, de les faire 
entrer au gouvernement et de neutrali- 
ser les SA en les incluant dans la 
Reichswehr, ce qui les déliait de leur 
serment au "Führer". HITLER aurait 
été ainsi isolé et rendu inoffensif. 
Ce n’est qu'ultérieurement que SCHLEI- 
CHER tentera de s'appuyer sur la 
gauche. 

En vue de réaliser ce projet, SCHLEI- 
CHER avait besoin d'un organe de 
presse. Dès 1929, il entre en contact 
avec Hans ZEHRER, éditeur de la 
revue Die Tat. Autour de ZEHRER 
gravitaient une demi-douzaine de colla- 
borateurs, le Tatkreis. Ce groupuscule 
ne voulait adhérer à aucun parti politi- 
que et se bornait à contester le traité 



de Versailles et les institutions de 
la République de Weimar. Sur le plan 
théorique, le Tatkreis luttait contre 
le capitalisme, le libéralisme, prô- 
nait l'abolition du parlementarisme 
et la souveraineté inconditionnelle 
de l'Etat. ZEHRER se réfère à SOREL, 
PARETO, SCHMITT, SOMBART, SPENG- 
LER, etc. Lui et ses amis voulaient 
instaurer une "démocratie nationale" 
quitte, pour ce faire, à passer par 
un intérim dictatorial. ZEHRER, curieu- 
sement, vit en SCHLEICHER l'homme 
capable de réaliser ce programme 
Avec les fonds du ministère de la 
Reichswehr, SCHLEICHER finança 
la création d'un nouveau quotidien, 
le Tagliche Rundschau, dont ZEHRER 
devint le rédacteur en chef. En juillet 
1932, cependant, ZEHRER critique 
férocement la nomination de von PAPEN 
à la chancellerie, favorisée par SCHLEI- 
CHER. ZEHRER accusait von PAPEN 
de vouloir gouverner sans l'assentiment 
populaire. SCHLEICHER, furieux, 
coupe aussitôt les fonds qui alimentaient 
le journal. Mais perd, en meme temps, 
sa seule tribune dans la presse. 

Les échecs successifs de SCHLEICHER 
en 1932 et en janvier 1933 donneront 
la victoire finale à HITLER. SCHLEI- 
CHER s'était finalement isolé, perdant 
les soutiens de PAPEN, pourtant décidé, 
lui aussi, à "neutraliser" le Führer 
de la NSDAP, et de HINDENBURG 
qui tenait le "caporal bohémien" en 
piètre estime. PAPEN, pour briser 
l'irrésistible ascension du nazisme, 
voulait organiser un coup d'Etat avec 
les 60.000 hommes de la police de 
Prusse. SCHLEICHER ridiculise ce 
projet et déclare que jamais les soldats 
de la Reichswehr ne tireraient sur 
le peuple. Après cela, STRASSER hésite, 
le syndicaliste LEIPART et le SPD 
BREITSCHEID retirent leurs épingles 
du jeu. HINDENBURG se lasse des 
changements d'attitude de SCHLEI- 
CHER qui, du coup, perd toutes ses 
chances. PAPEN est alors contraint 
de dialoguer avec HITLER. FRANçOIS- 
PONCET, ambassadeur de France 
à Berlin, Ernst NIEKISCH, chef de 
file des "nat lonaux-bolchévistes" et 
l'historien anglais John W. WHEELER 
BENNET écriront des mots très durs 
à propos de l'amateurisme et des 
intrigues de SCHLEICHER. Et pourtant, 
les idéaux, les fonctions, les itinérai- 
res de ces trois hommes divergent 
considérablement. En juin 1934, lors 
de la purge sanglante qui élimina Ernst 
ROEHM et les principaux chefs de 
la SA, HITLER, BORMANN et GOERING 
se souviennent des fausses promesses 
de SCHLEICHER, vieilles de deux 
ans, et de sa tentative de rompre 
la cohésion de la NSDAP en se rappro- 
chant de STRASSER. SCHLEICHER 
est assassiné. 



Son erreur fut de vouloir une politique 
dictatoriale "centriste" alors que la 
crise de 1929 avait orienté les masses 
vers le radicalisme, les avait amené 
à vouloir un bouleversement total 
des structures sociales existantes. 
Au fond, les derniers mois de Weimar 
révèlent une lutte âpre entre plusieurs 
dictateurs potentiels, dont SCHLEICHER 
et HITLER. C'est ce dernier qui l'empor- 
tera. Les partis de gauche, et surtout 
la SPD, se voyaient sommés de choisir 
entre une dictature militaire classique, 
de tendance conservatrice, et une 
dictature d'un genre nouveau, celle 
de HITLER. Leur électorat a choisi 



11 



11 




Cette carte , extraite du livre de Josef Strzygowski , Aufgang des Nordens, nous montre 
les trois grandes zones du globe où naissent trois types d'art bien différenciés: le Sud , 
le Milieu et le Nord. Négligé par la recherche , le Nord, que veut réhabiliter Strzygowski, 
se subdivise à son tour en trois courants: l'indo-européen , l'atlantique et l'amérasia tique. 



la NSDAP, à ses yeux plus "sociale". 
C'est sans doute ce qui explique les 
appels au calme lancé par les perma- 
nents de la 5PD, le 30 janvier 1933 
et le désintérêt des milieux de gauche 
pour l'attentat du 20 juillet 1944. 

SCHLEICHER tué, la Reichswehr 
ne proteste même pas et le régime 
accuse le dernier chancelier de Weimar 
d'avoir entretenu des rapports suivis 
avec l'Etat-Major français et avec 
FRANçOIS-PONCET. Celui-ci dément. 
Mais la propagande de C.OEBBELS 
a pu interpréter à son profit 1) l'hostili- 
té que, dix ans auparavant, SCHLEI- 
CHER manifestait à l'encontre des 
projets anti-occidentaux de SEECKT 
et 2) le jugement favorable qu'il portait 
sur le francophile STRESEMANN. 

M.F. 

Friedrich-Karl von PLEHWE, Reichs- 
kanzler Kurt von Schleicher, Weimars 
letzte Chance gcgcn Hitler, Bechtle 
Verlag, München, 1983, 331 p., DM 

39. 

(1) Cf. John W. WHEELER-BENNET, 
Die Nemesis der Macht. Die deutsche 
Armee in der Politik 1918-1945 , Band 
l, Athenaum/Droste , Konigstein/Ts, 
1981. 




LES THESES DE L'ARCHEOLOGUE 
JOSEE STRZYGOWSKI 



Qui se souvient de Oosef STRZYGOWSKI 
(1862-1941) ? Qui le connaît encore? 

Originaire de la Galicie austro-hongroi- 
se, germanophone, STRZYGOWSKI 
est un spécialiste de l'histoire de l'art 
dans l'Antiquité. Sa thèse la plus origi- 
nale a été de réfuter le "point de 
vue humaniste centré sur l'espace 
méditerranéen". Professeur à Vienne, 
STRZYGOWSKI a eu l'occasion de 
défendre ses thèses en Grande-Bretagne, 
en Suède, en Finlande, aux Etats-Unis 
(à l'invitation de l'Université de Har- 
vard) et à la Sorbonne à Paris, où 
séminaires et conférences furent, 
par la suite, organisées sur la base 
de ses recherches. 

La thèse principale de STRZYGOWSKI 
est celle des trois "zones d'art" qui 
se partagent la planète. Ces trois 
zones ne sauraient être confondues. 
Il y a d'abord la zone "méditerranéen- 
ne" qui avait été plus ou moins la 
seule, au temps de STRZYGOWSKI, 
à avoir été étudiée à fond. Ensuite, 
il y a la zone équatoriale, avec l'Afrique 
et l'art de ses tribus noires, l'Océanie 
et l'Amérique du Sud. L'étude de cet 
art-là, l'époque coloniale l'a laissée 
à l'ethnographie. La troisième zone 
est la zone septentrionale. C'est celle 
qui a été la plus négligée par l'érudi- 
tion. 

C'est la zone équatoriale, le "Sud" 
selon la terminologie adoptée par 
STRZYGOWSKI, qui est vraisemblable- 
ment la plus ancienne. Le climat tropi- 
cal, équatorial, de cette région du 
globe n’a pas favorisé l'éclosion d'un 
habitat sophistiqué, protection contre 
les rigueurs du climat ailleurs dans 
le monde. L'habitat ne s'est pas révé- 
lé, là, nécessité de premier plan. 

En revanche, l'art plastique des popula- 
tions africaines et équatoriales révèle 



une extraordinaire constance depuis 
le paléolithique et nous dévoile des 
scènes de chasse, des sujets animaliers 
et de remarquables figures féminines 
en état de grossesse. 

La zone septentrionale, en Eurasie, 
part des Alpes et s'étend à toute la 
plaine eurasiatique jusqu'au pôle. Elle 
englobe également l'Amérique du Nord. 
Contrairement aux habitants du "Sud" 
tropical et équatorial, ceux du Nord 
doivent affronter un climat rigoureux 
qui exige le port de vêtements et 
la construction d'habitations de bois, 
matériel "organique" soumis aux vicissitu- 
des destructrices du climat et laissant 
peu de traces pour l'archéologie. STRZY- 
GOWSKI constate l'absence de représen- 
tations humaines dans cet art. Pour 
cette zone septentrionale, l'art n'est 
jamais une simple imitation de la nature 
mais une perpétuation de la création 
au départ d'une identité spécifique. 
L'art ne dévoile pas un monde fait 
de pure extériorité mais un monde 
issu de la représentation, passé par 
l'intermédiaire d'une intelligence qui 
reconnaît les lois du cosmos. 

De là découle une conception de la 
liberté où l'homme demeure créateur 
tant qu'aucune puissance coercitive 
n'intervient. La zone du "milieu", 
méditerranéenne, ne révèle pas un 
art qui est dialogue entre l'homme 
et la nature (ou, plutôt, le cosmos); 
elle «1 l'art de "l’homme de puissance" 
(Machtmensch). Un type humain qui 
exerce son autorité sur des serviteurs 
ou des croyants et croit pouvoir soumet- 
tre la nature à sa volonté. Dans toute 
l'histoire de l'art, seul cet art a été 
considéré comme art "supérieur". C'est 
l'art de Rome, de l'Eglise Catholique, 
etc. 

STRZYGOWSKI veut découvrir cet 
art septentrional qu'il divise en trois 
grands courants (cf. carte). D'abord, 
le courant indo-européen (indogerma- 
nisch selon la terminologie allemande), 
où l'homme n'est pas le centre de 
la création mais en constitue une part 
infime et modeste. L'art du début 
du christianisme, écrit STRZYGOWSKI, 
montre encore ce souci d'inclure les 
scènes humaines et religieuses dans 
un décor animalier, fantasmagorique, 
géométrique ou végétal. 



L'art de l'Arménie et de l'Iran anciens 
constitue un exemple très frappant, 
presque idéaltypique, de cette attitude 
devant le cosmos. Le christianisme 
en tant que doctrine, que système 
philosophique va encourager un abandon 
de cette harmonie cosmique. En revan- 
che, l'Islam va puiser dans la tradition 
vieille-iranienne et produire, en dehors 
du domaine artistique, une pensée 
mystique, proche, en maints aspects, 
du mysticisme "panthéiste" d'un Meister 
ECKEHART ou d'un RUUSBROEC. 

Ensuite, il y a le courant atlantique 
qui, selon STRZYGOWSKI, aurait donné 
naissance, après quelques avatars, 
à la Machtkunst (l'art de puissance). 
Et, enfin, le courant amérasiatiquc. 

La thèse globale de STRZYGOWSKI 
est une sorte de théorie dif fusionniste. 
Ce serait à partir de l'Iran que l'art 
de la Méditerrannée (le vrai, pas celui 
qui exalte une puissance arrogante 
et illégitime) aurait été influencé. 
Mais l'Iran de STRZYGOWSKI combine 
les traditions les plus anciennes de 
la steppe et des Indo-Européens, héri- 
tiers d'immigrants anciens venus d'Euro- 
pe après avoir transité dans la steppe. 
Mais cette matrice septentrionale 
s'est tarie en Occident depuis Charle- 
magne et depuis la Renaissance. Les 
élites ont été fascinées par la Macht- 
kunst, par l'esprit autoritaire "anorgani- 
que" qui s'en dégageait. 

STRZYGOWSKI nous propose donc 
une dynamique, une dialectique de 
l'histoire de l'art qui réhabilite l'art 
du Nord de l'Europe, celui de la steppe 
(Scythes, Sarmates, etc.) et celui de 
l'Iran Ancien, où le respect de la nature 
est omniprésent. Il y a là matière 
à réflexion. 

G.C. 

Josef STRZYGOWSKI, Aufgang des 
Nordens, Lebenskampf eines Kunstfor- 
schers um ein deutsches Weltbild, 
Faksimile-Verlag (Postfach 10 14 20, 

D-2800 Bremen 1), Bremen, 1983 (Re- 
print), 138 p., 20 ill., 17,30 DM. 




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libéralisme, par Thierry MUDRY. 6) 
Contestation du libre-échangisme, 
par Guillaume PAYE. 7) Les objectifs 
politiques et géopolitiques de l'autaicie 
européenne, par Guillaume PAYE. 
8) Nationalisme et démocratie au XIXè- 
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berlinoise, par Luc NANNENS. 



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Pierre KREBS. 2) Le "Mal" dans la 
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(Même partie), par Janus MEER BOSCH. 
3) Où va la révolution ?, par Luca 
NICCHI. 5) Beowulf, par Julienne MAR 
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(Cf. la recension de Serge HERREMANS 
dans ce numéro de Vouloir) : Met Walen 
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Georges OLTRAMARE, Les souvenirs 
nous vengent, Genève, 1956. 

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chef du mouvement nationaliste suisse 
évoque Léon Daudet, Léon Degré Ile, 
Céline, Otto Abetz, son tête à tête 
avec Mussolini, l'armistice, le Paris 
occupé, la libération, "Sigmarmgen 
ou le Coblence des purotins", Albert 
Paraz, Robert Le Vigan, Henri de 
Keyserling, Abel Bonnard, Raoul Folle- 
reau, Gonzague de Reynold, etc. 

Prix de ce livre: 250 FB port compris.